Taulier du premier Mark XIII et DJ, Aymeric Ponsard est depuis 2016 le propriétaire du Keep It Weird. Dans ce bar, univers underground assumé et décoration chiadée côtoient produits de qualité issus de l’histoire américaine. Rencontre avec un acteur emblématique de la culture alternative grenobloise qui au fil des années n’a rien perdu de sa singularité.
Comment a débuté l’aventure Mark XIII ?
A la base le Mark XIII c’était une association où on faisait des soirées DJs et des concerts. On l’a créée en 1995. […] Tous les clubs où on allait, les salles de concert, c’était blindé et un jour je me suis juste posé une question toute conne : où ces gens-là vont boire des coups pour écouter la musique qui leur plaît ? […] L’idée, c’était de réunir ces gens-là autour de la musique underground, de la culture underground au sens le plus large.
Quelle était l’identité musicale du lieu ?
C’était la période gothique électro dark. Il y avait une dizaine d’activistes sur Grenoble, de DJs et après il y avait beaucoup d’échanges avec Montpellier, Marseille, Paris. Après les artistes étaient souvent étrangers notamment allemands, belges, là où la culture underground est vraiment développée. Et notamment dans le milieu gothique, les deux gros pays c’est l’Angleterre et l’Allemagne. C’était l’Angleterre au début et après c’est l’Allemagne qui a fait perdurer cette culture-là.
Et la scène locale à l’époque ?
Il y a eu beaucoup de DJs qui ont commencé au Mark XIII et qui après ont tourné et tournent toujours d’ailleurs. On a eu les débuts de Vitalic, Gesaffelstein, il a fait son premier live à un anniversaire du Mark XIII. […] Michel [Amato ndlr], Miss Kittin. […] J’insiste, ils n’ont pas commencé chez moi [mais le Mark XIII fait partie des premier lieux où ils ont joué] parce qu’on était un microcosme où tout ce qui se faisait de bien ça circulait très vite et j’ai toujours recherché à trouver de nouveaux talents en fait et à les mettre en avant.
Pourquoi avoir décidé de le fermer ?
J’avais fait le tour. Je voulais le développer parce qu’il y avait beaucoup de demandes sur Lyon, Paris, Montpellier, puis j’ai pris un peu de recul. Je voulais aussi m’arrêter un peu avec la nuit […] Souvent ce que je disais à l’époque c’était repeindre encore une fois, changer encore les meubles de place. J’étais arrivé à ce que j’avais à me prouver à moi-même […]
C’est un combat qui dure depuis toujours qui est de faire évoluer la culture underground dans un pays qui [y] est assez hermétique. Et crois-moi qu’il y a quinze ans, c’était encore plus compliqué. […] Mes bars au début t’avais des gens hyper lookés. Il y a une maman d’une fille qui avait dix-huit ans qui s’est mise à venir au Mark XIII qui avait appelé [un journal local] pour faire un article comme quoi il y avait un bar qui était une secte, qu’il y avait des gens bizarres avec des looks étranges.
« C’est un combat qui dure depuis toujours qui est de faire évoluer la culture underground dans un pays qui [y] est assez hermétique »
J’ai toujours prôné la différence de styles, il peut y avoir des punks, des gothiques, des avocats en costards, tout styles de gens, un mélange de gens qui ont l’esprit ouvert, ça a toujours été ma devise mais avec une identité underground puisqu’il faut garder une identité quand même si on veut que ça ait un sens.
Tu as voyagé aux États-Unis. En quoi cette expérience a été déterminante pour la suite ?
Mon meilleur ami avec qui j’ai créé le Mark XIII qui s’appelle Eric Virey et qui habite là-bas depuis quinze ans me tannait et me tannait en me disant « Viens aux États-Unis ». Et comme la majeure partie des français, j’avais des a priori et surtout à l’époque de Bush, je ne voulais pas y mettre un pied. J’ai fini par y aller quand j’ai vendu le Mark XIII et là je suis tombé amoureux littéralement du pays.
La diversité de cultures, l’ouverture d’esprit… après tout dépend, c’est le grand classique aux États-Unis, il y a le pire et le meilleur. Tout dépend de là où tu es, c’est plein de pays plutôt qu’un seul mais j’ai adoré le pays […] surtout à Portland d’où vient le nom du Keep It Weird. [Le slogan de la ville étant » Keep Portland weird » ndlr]
Justement, comment est né le Keep It Weird ?
Le but c’était d’ouvrir un Mark XIII là-bas [à Portland ndlr]. Après ça a été compliqué, c’est économique puisqu’il y a eu une inflation sur la côte ouest, ça devenait n’importe quoi : San Francisco, 60% d’augmentation des loyers en deux ans donc Portland restait la dernière ville accessible. Tout le monde partait à Portland et tous les gens qui avaient des affaires dans mes budgets ne les vendaient pas parce que trois ans après ça valait le double.
« Faire un petit Portland à Grenoble »
Et du coup en rentrant, on s’est dit pourquoi on ne ferait pas l’inverse, faire un petit Portland à Grenoble. […] Et surtout j’ai développé la même passion dans les produits, les alcools, les cocktails, les bières que dans la musique. […] Donc c’était amener, faire découvrir des choses, des cocktails qu’on ne connaissait pas. Ici on a la culture du cocktail immense avec les ombrelles, là-bas c’est une autre culture. J’avais envie de partager ça en fait. Les bières artisanales, là on a un gros boom ça fait deux trois ans, c’est eux qui ont lancé ça il y a vingt ans, ils ont une maîtrise des bières artisanales qui est absolument hallucinante et du coup je reviens dans le timing où ça commence en France.
Quel est l’univers du Keep It Weird ?
Découverte, musique underground crédible, culture et respect. Je suis assez à cheval là-dessus […] La porte est ouverte absolument à tout le monde du moment qu’il y a du respect. […] Il y a plein de trucs, l’atmosphère, l’âme, la décoration, c’est hyper important pour moi. […] C’est le but de sortir, c’est de s’aérer l’esprit. Je dis aussi souvent quand tu rentres dans un bar, tes soucis tu les laisses à la porte, t’as tout le temps de les récupérer après.
Quel type d’évènements sont organisés mis à part les concerts ?
Chris [un collaborateur ndlr] travaille avec Arturia à Grenoble qui est leader dans les instruments de musique électronique dans le monde entier. […] Il organise des ateliers ici pour faire découvrir tout ce qui est MAO. Je trouve ça super bien parce que ça permet de donner l’accessibilité à tout le monde de pouvoir s’exprimer en faisant de la musique électronique.
Quels styles musicaux sont mis à l’honneur au Keep It Weird ?
C’est rock, blues, country, gothique, industriel, électro old school, et électro techno même mais toujours un underground crédible. Parce qu’aujourd’hui ce mot-là est complètement [galvaudé], comme électro à la base c’était hyper pointu, maintenant David Guetta c’est de l’électro.
Quelle place laisses-tu à la scène locale dans ta programmation ?
Toujours à l’affût des nouveaux talents et des nouveaux DJs qui ont du talent. La porte est toujours ouverte, sur écoute par contre parce que je veux absolument maîtriser tout ce qui est joué chez moi, avoir une direction artistique qui soit réelle. Régulièrement, j’ai des jeunes DJs qui m’envoient des musiques via facebook que je peux écouter et à ce moment-là ils viennent jouer là. […]
J’ai fait les débuts d’Hadra au Mark XIII aussi […] On faisait de la drum’n’bass. Tout ça j’ai un petit peu abandonné parce qu’il y a des choses que j’aime bien mais ce n’est pas ma culture propre. Aujourd’hui, maintenant, j’ai envie de mettre en avant ce que j’aime alors qu’avant j’étais plus dans une espèce de mission de défendre justement tout ce qu’il y avait à défendre.
Quelques noms de jeunes artistes que tu aimes promouvoir ?
Tony Dolz […] Smart […] Odessa qui est une fille, parce que je cherche toujours des nanas. Il y a un truc qui m’agace, c’est que c’est un truc de mecs. D’ailleurs j’ai une soirée rock qui s’appelle Brune platine où c’est que des nanas. Ce sont des résidents, donc ils jouent régulièrement ici. C’est rock, électro rock, 80’s.
Pourquoi est-ce important que des lieux comme le Keep It Weird existent ?
Aujourd’hui il y a ce que j’appelle la réactivité bandcamp. Il y a des supers artistes qui resteront à tout jamais sur bandcamp parce qu’il n’y a plus de major qui les feront sortir de là, qui les feront connaître, grandir, grossir parce qu’aujourd’hui ils préfèrent faire de la musique en boîte. D’ailleurs je dis souvent, c’est un peu dur mais c’est vraiment ce que je pense, pour moi ces dernières années la musique ça ne fait plus partie de la culture, dans le sens industrie. Mais il y a toujours des jeunes artistes de talent et des labels qui galèrent parce qu’ils n’ont pas une thune […] mais pour le coup c’est vraiment des passionnés.
Tu prends des groupes dont je suis fan comme Depeche mode, The Cure, ça a commencé comment ? Dans un petit bar. C’est des mecs qui avant étaient payés par les majors – c’est un métier qui n’existe plus – qui allaient voir tous les petits concerts dans les petits bars [et se disaient] là il y a un truc à faire. […] C’est pour ça que les lieux underground, que ce soit le mien ou les autres, c’est hyper important parce que c’est tout ce qu’il reste pour que vive la culture underground.