Beyoncé, Madonna ou encore les Destiny’s Child, nombreuses sont celles qui ont défendu le droit des femmes en chansons. Si dans le milieu de la musique, certaines arrivent à être suffisamment médiatisées pour être reconnues, il reste encore un certain nombre de préjugés, selon Harisoa Rada, chanteuse et bassiste du duo grenoblois Midnight Bloom. A l’occasion de la journée de la lutte pour le droit des femmes, elle explique que, pour elle, monter sur scène constitue déjà un acte féministe en soi. Rencontre.
 

De ton point de vue quelle est la place des femmes au sein de la scène musicale grenobloise ?

La scène musicale grenobloise est loin d’avoir atteint la parité, comme partout ailleurs en France et dans le monde. Si je ne me trompe pas, avec mon duo Midnight Bloom, j’étais l’une des deux seules représentantes de la gente féminine de la Cuvée Grenobloise 2016 avec Marion Danton du groupe Bleu, sur 15 artistes sélectionnés ! Et sur celle de cette année, il me semble que la chanteuse du groupe The Next Tape est la seule femme de la compilation.

Après, même si les femmes sont moins présentes que les hommes dans le paysage musical grenoblois, je ne pense pas que ce soit parce qu’on les en empêche, mais plutôt parce qu’elles sont simplement moins nombreuses.

 

A ton avis, quelle en est la cause ?

A mon avis, le point de départ principal est une forme d’auto-censure venant des femmes elles-mêmes. Comme dans n’importe quel milieu estampillé « masculin », les femmes ont du mal à se projeter dans des rôles qui, dans l’imaginaire collectif, sont habituellement attribués aux hommes.

Concrètement, dans la musique, nous sommes tous habitués à l’image de la « chanteuse » (à la télévision par exemple ou dans tout autre type de média). Je pense que de nombreuses petites filles rêvent d’être chanteuses, danseuses ou actrices, mais peu d’entre elles s’imaginent en Guitar Hero. Tout simplement parce qu’on est beaucoup moins habitués à voir des femmes jouer de la guitare électrique, de la basse, de la batterie …

Moi-même j’ai démarré la musique par le chant, largement influencée par toutes les émissions de télé-crochets qui fleurissaient au début des années 2000. Et j’ai commencé par jouer du piano quand on m’a offert le CD d’Alicia Keys pour mes dix ans. Je ne me suis dirigée vers la guitare et la basse beaucoup plus tard, en partie grâce à des artistes comme Avril Lavigne (oui c’est la honte je sais !) qui, toute considération artistique mise de côté, montrait au grand public qu’une fille peut faire du skate et jouer de la guitare !

Journée de la femme - Harisoa Rada - Midnight Bloom 2

Journée du TA – ©Titi Photographe

Comment pourrait-on l’améliorer ?

Je pense qu’on peut en partie faire le parallèle avec le milieu sportif : tant que le football féminin ne sera pas plus médiatisé, il sera toujours plus difficile pour une fille de s’imaginer devenir footballeuse professionnelle, tout simplement parce que personne ne lui aura dit que c’était possible !

Cela dit, dans le milieu de la musique, il y a quand même une prise de conscience qui a été amorcée depuis quelques années et qui se concrétise par des initiatives comme le festival « Les Femmes s’en mêlent ». Pour moi, plus il y aura de modèles d’artistes féminines sous les projecteurs, plus nombreuses seront les femmes qui s’en inspireront et plus la scène féminine pourra se développer.

 

Est-ce dur de s’imposer en tant que femme dans le milieu musical ?

Le plus dur est encore une fois de dépasser ses propres préjugés. Ce n’est pas parce que je suis une femme que je suis moins douée pour faire de la musique que n’importe quel homme. Une fois qu’on admet ça, c’est déjà une grande partie du travail de fait.

A Grenoble, je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré de difficultés particulières que je puisse clairement associer au fait d’être une femme. Au contraire, ça m’a peut être déjà facilité la vie, car il y a, à mon avis, une forme de discrimination positive inconsciente qui est à l’œuvre quand on postule par exemple à un tremplin et que l’on est la seule femme parmi les candidats !

 

T’as-t-on déjà fait des remarques sexistes relatives au milieu de la musique ?

Un jour en rentrant dans un magasin de musique à Grenoble, je suis allée acheter une pédale de « delay » pour guitare électrique. Le vendeur à qui j’ai eu affaire m’a tout de suite demandé : « Attention, l’alimentation n’est pas fournie avec cette pédale, est ce qu’il en a déjà une ? » supposant que j’achetais forcément cette pédale pour quelqu’un d’autre de sexe masculin et pas pour moi. Au moment de passer à la caisse, l’autre vendeur me demande gentiment : « C’est pour offrir ? »… Cette petite anecdote m’amuse parce que les deux personnes en question ont réagi de la même façon sans se concerter, et surtout sans aucun mépris.

Dans leur esprit, ça ne semblait vraiment pas naturel qu’une femme vienne acheter ce genre d’article. Je ne sais pas si on peut qualifier ces réactions de fondamentalement sexistes mais en tout cas je les trouve plutôt révélatrices !

Sinon en dehors de ça je trouve qu’à Grenoble, qu’il s’agisse de programmateurs, techniciens, professionnels de la culture au sens large, les gens avec qui j’ai eu l’occasion d’interagir sont très pros et je n’ai jamais eu à subir une seule fois de remarques désobligeantes du fait d’être une femme. On a plutôt tendance à m’encourager et à me dire qu’il faut qu’on soit plus nombreuses !

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La belle électrique – ©Queymon Mc Loughlin

Parlez-vous de la cause féminine dans les chansons de Midnight Bloom ?

De façon assez générale, les textes de Midnight Bloom traitent plutôt de ressentis, d’histoires vécues/entendues plutôt que de « causes » à proprement parler. Ça ne nous empêche pas d’aborder le sujet de façon indirecte. Une des chansons qui figure sur l’EP que nous allons sortir ce printemps s’appelle « Waves of lust » et parle de sexualité, de lâcher prise.

L’idée là-dedans étant que peu importe notre genre, le sexe fait partie de ces rares activités pendant lesquelles on a l’occasion de se libérer un peu de l’image que l’on renvoie à autrui. Le fait de devoir toujours faire attention à son image concerne bien sûr tout le monde mais peut être un peu plus les femmes qui sont plus systématiquement jugées sur leur apparence et ce dans tous les milieux sociaux.

 

Es-tu impliquée d’une quelconque manière pour la cause féminine ?

Pour moi, le meilleur moyen de s’impliquer dans n’importe quelle cause c’est avant tout d’agir en cohérence avec les convictions que l’on défend au quotidien, plutôt que de se revendiquer de quoi que ce soit. Le fait de jouer de la basse sur scène avec Midnight Bloom constitue en quelque sorte un acte féministe, dans le sens ou ça contribue (à petite échelle bien sûr) à faire évoluer l’image de la femme dans la musique et de ne plus la cantonner au seul rôle de « chanteuse ».

De ce point de vue là, j’ai envie de dire que oui, je me sens impliquée dans la cause féminine par des petites choses que j’essaie de faire à mon niveau, comme par exemple en ne me plaignant pas si je dois porter mon ampli basse pour aller à un concert…

Mais c’est très fatigant de dire que l’on est « féministe » parce qu’on est très vite taxée de « feminazi » ou de noms d’oiseaux, sous-entendant que l’on est qu’une hystérique de plus qui se bat pour une cause inutile, alors qu’il y a des choses plus graves que ça dans le monde… Je pense qu’il reste des choses à faire pour atteindre l’égalité hommes/femmes, mais à chacun son avis là-dessus.

 

Que signifie « égalité entre les hommes et les femmes » pour toi ?

Pour moi ça veut dire qu’au delà des strictes différences biologiques qui nous caractérisent, hommes et femmes ont au départ les mêmes capacités et doivent avoir les mêmes droits !

 

Pour cette journée de la lutte pour le droit des femmes, qu’aimerais-tu dire aux Grenoblois et aux Grenobloises ?

Ça paraît évident, mais je leur dirai de ne pas attendre le 8 mars pour agir en faveur de l’égalité hommes-femmes, même à petite échelle ! Et je leur dirai aussi de passer nous voir jouer à l’Engrenage le 15 avril pour constater que quand hommes et femmes collaborent de façon harmonieuse, il en sort souvent de belles choses !

 

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