Courant 2022, MajinTT dévoile discrètement sur les réseaux ses premiers titres avec son ami DRZ 640 (ayant travaillé avec DTF, Zeseau, Sokuu…) et pose le ton en fin d’année avec un premier EP, « Mifa ». En 2023, la toute jeune carrière du rappeur prend un nouveau tournant en nous proposant un voyage au royaume de ses tourments avec la série de son « Errances ». Le premier titre extrait de ce projet – et aussi le premier clip, sorti le 13 Janvier 2023 – est « Intro », affichant une direction artistique qui s’affine. 6 « errances » plus tard, MajinTT sort ce 1er octobre le premier single d’un projet 9 titres prévu pour Janvier 2024, « Faux pas », en featuring avec Jim’s, sélectionné sur la Cuvée Grenobloise 2023. Rencontre avec un addict à la musique, à l’écriture cathartique, prêt à mêler des ponts entre rap et rock pour refaire le portrait à la mélancolie. Interview.
1 – MajinTT, quel est ton état d’esprit en ce moment ?
En ce moment je suis ultra focus, entre la sortie de mon EP “Vide” prévue pour Janvier et l’enchaînement des sons « Errances ». J’essaie de développer encore plus mon univers et de m’essayer à plusieurs styles. C’est une période stimulante, intense mais aussi très éprouvante car en parallèle je bosse à l’usine avec pas mal d’heures sup’ pour financer tout ça.
2 – A l’écoute de tes sons, on ressent très rapidement l’aspect « cathartique », voir carrément vital, de la musique à tes yeux. Peux-tu nous dire pourquoi la musique, et en particulier le rap, est devenu ton moyen d’expression par excellence ?
Dans la vie de tous les jours, je ne suis pas quelqu’un d’expressif, j’ai tendance à garder mes frustrations pour moi. La musique me permet de laisser sortir toutes les émotions que je garde en moi et si je ne fais pas de musique pendant un certain temps, je deviens nerveux, anxieux, il n’y a que quand je rappe que je me sens vraiment libre. A l’origine c’était pour évacuer certains drames de mon enfance que j’évoque régulièrement dans mes textes, ça et pour contrer l’environnement difficile dans lequel j’ai grandi et le mal-être qui peut découler
de ces deux choses, mais ça continue à jouer le même rôle sur des expériences actuelles. Une partie des choses que j’écris, je suis en train de les vivre ou de les ressentir et une autre ce sont des choses qui ressurgissent à ce moment-là ou que j’ai un peu toujours en tête.
3 – Quel est l’évènement / anecdote qui t’a fait dire que la musique allait devenir un projet sérieux pour toi ?
Il n’y a pas vraiment d’événements ou d’anecdotes qui m’ont fait prendre la musique au sérieux, c’est plutôt la rencontre avec mon beatmaker DRZ 640 qui m’a poussé à chercher à faire toujours mieux et à toujours plus pousser dans l’expression et la création d’un univers logique et profond basé sur un vécu, des sentiments réels. Comme je le disais, le but avant tout, en rappant, c’est de me libérer, mais c’est DR (ndlr DRZ 640) qui m’a réellement fait prendre conscience de mon potentiel.
4 – D’ailleurs, comment s’est fait la rencontre avec DRZ 640 ?
Pour la rencontre, on s’est d’abord croisé un soir en ville en 2017, à un moment j’ai rappé autour d’un groupe d’amis sur un thème qu’ils m’avaient imposé : c’était les pokémon. Suite à ça, DRZ m’a envoyé un message en me disant qu’il avait fait des instrus (il en avait jamais fait avant), j’lui ai dit “cool” mais j’ai pas prêté plus attention, j’étais pas trop dans un processus de studio, de sortir des sons etc… Puis peut-être 1 ou 2 mois plus tard, vu qu’il
continuait à faire des instrus, il avait commencé à bien échanger avec quelqu’un avec qui je rappais et qui lui était plus dans tout ça. De là on a commencé à travailler ensemble et on a tout de suite ressenti l’alchimie en studio depuis on ne s’est pas lâché.
5 – Tes textes sont réellement personnels, impactants, et portent souvent des sentiments sombres sans aucun tabou. Quel est ton process d’écriture habituellement pour tes sons ?
Avant j’avais tendance à écrire mes textes au préalable, vu que c’était le plus important pour moi, mais depuis l’écriture du projet “Vide”, j’ai repensé ma façon d’écrire. Je voulais quelque chose de plus intuitif alors j’ai commencé à fonctionner “en yaourt” : je fais une première maquette où je laisse d’abord l’émotion et la rythmique de l’instru me guider et où ce que je dis n’as aucun sens, à part quelques enchaînement de mots spontanés. Ça me donne les temps, les moments que je ressens plus intenses, ceux que je ressens calmes.
Ensuite je réécoute mon “yaourt” qui ne veut souvent rien dire et je trouve des mots qui ont la même sonorité, je leur donne du sens en fonction de ce que l’instru me fait ressentir et petit à petit ça donne un morceau, pas forcément bien écrit mais surtout bien ressenti, l’objectif c’est que les gens puissent ressentir l’émotion que j’ai ressenti en le faisant. Sur le texte en lui-même c’est donc très spontané, mais au final beaucoup de thèmes
reviennent car souvent très présents dans mon esprit.
© Kaptur
6 – Quel est le morceau qui a été le plus difficile à écrire pour toi ? Et celui qui te ressemble le plus à tes yeux ?
Je n’ai pas vraiment de difficulté dans l’écriture en soi. Là où c’est dur et où j’ai dû parfois reprendre des maquettes de 0, 4 ou 5 fois, c’est plus pour trouver le bon délire, la bonne vibe. Parfois on écrit un texte super mais ça sonne plat, on ne ressent rien. Pour mon cas j’ai remarqué que c’était simplement lorsque je n’avais pas la bonne intention au départ ou que je n’avais pas commencé “au bon endroit” et donc que tout ce qui en découlait était comme “décalé”. Dans ce cas je repense totalement les morceaux.
Pour donner un exemple, celui dont je me souviens c’est le titre éponyme du projet “Vide” : je voulais
instinctivement faire quelque chose de très structuré : couplet/pont/refrain etc, mais à un moment j’ai abandonné et j’ai juste laissé libre court à mon ressenti et on fini avec un titre presque sans refrain mais mélodieux et tellement fort en émotion qu’on se laisse porter. C’est notamment grâce à ce morceau que j’ai compris qu’il fallait plus que je laisse libre court au ressenti dans la conception de mes morceaux. Vraiment je n’ai pas de son qui me « ressemble le plus », il sont réellement tous une partie de moi, j’ai toujours voulu créer en allant dans ce sens. Je veux que tout soit vrai, que tout ce dont je parle, je l’ai vécu ou ressenti de cette façon, il n’y a que comme ça que j’arrive à écrire des trucs forts et vraiment percutants.
7 – Peux-tu nous expliquer cette influence rock assez présente dans ton rap, notamment par la présence de guitares ?
L’influence rock (au sens large) dans mes rap vient directement de mon beatmaker DRZ. Début 2022, lorsqu’on a commencé à travailler sur notre EP “Vide”, on voulait quelque chose de personnel, mon beatmaker faisait de la guitare électrique, et a toujours aimé cet univers là vu qu’il a joué dans des groupes avant. Alors on a commencé à mélanger l’émotion que je peux mettre dans mes textes avec celle qu’il peut mettre dans ses guitares. On a fait un test, c’était très personnel comme mélange, on a vraiment accroché et on s’est dit que ça devait faire partie intégrante de notre univers.
© Kaptur
8 – Comment voudrais-tu, dans l’idéal, que les gens vivent ta musique ?
En réalité l’objectif, ça serait qu’il n’y ai aucune différence entre quelqu’un qui ai vécu ce dont je parle et quelqu’un qui ne l’ai pas vécu, que les deux le ressentent avec la même intensité. J’essaye aussi de faire en sorte que chacun puisse en faire le parallèle avec sa propre expérience car les émotions sont universelles. Je veux quelque chose qui touche au cœur, que ce soit dans la joie ou la tristesse, dans “Vide” on est sur du très sombre mais à l’avenir j’aimerais explorer toutes les facettes d’une vie et les graver sur un CD. Et contrairement à ce qu’on pense, faire de bons morceaux joyeux n’est pas donné à tout le monde !
9 – Avec DRZ 640, vous aviez décidé de lancer la série « Errances » : la sortie tous les mois environ d’un morceau réalisé en collaboration avec un autre compositeur de la ville, chaque fois différent. Comment l’idée a-t-elle émergé entre vous ? Quels étaient les objectifs de ce « marathon » de composition et qu’est-ce qu’elle t’a apporté ?
A la base ça part d’une mauvaise nouvelle, on avait fini l’enregistrement de “Vide”, on avait les prémix et on attendait les mix finaux pour envoyer aux master mais la personne avec qui on bossait a dû subitement arrêter la musique, du coup on s’est retrouvé avec des sons pas mixés on a dû trouver quelqu’un d’autre, merci d’ailleurs à la boitearythme pour son adaptabilité là-dessus. Mais tout ça a beaucoup retardé la sortie, donc moi j’étais dans la frustration, je me disais : “mais qu’est ce qu’on va faire on peut pas ne rien sortir pendant tout ce temps !”. Et puis là DR a eu l’idée du concept de errance : il m’a dit qu’il ne fallait pas rester dans cette situation et en faire une force, du fait qu’il a travaillé avec beaucoup de rappeur et beatmaker il a énormément de contact dans le milieu rap à Grenoble, il m’a proposé l’idée et j’ai direct trouvé ça chaud et puis ça collait parfaitement à l’univers donc on s’est lancé, le but était à la base de ne pas disparaître puis réapparaître comme une fleur mais au final ça a pris une tournure bien plus forte. Et personnellement ça m’a permis de peaufiner ma mécanique d’écriture et de voir si je pouvais assumer un tel rythme sans devenir redondant.
Le concept en lui-même est assez simple : à chaque “Errance”, on bosse avec un musicien/beatmaker différent et DRZ et lui font l’instru en collaboration. J’écris pendant ce temps, ou alors après si on ne fait pas tout le même jour. Puis on enregistre dans son studio on dans un studio dans lequel il est affilié et notre ami “L’Oeil de la street “ filme tout ça avec un vieux caméscope un peu pourri des années 2000. Il fait ses prises et son montage de
sorte à ce que ça fasse un “mini-clip” en immersion dans nos errances. Le mix du son est ensuite généralement fait par un gars du studio en question (ou le beatmaker, sur errance #8). Ainsi, y’a certains épisodes qui ont été faits tout en une seule aprem, de la prod jusqu’au prémix, en passant par le “tournage” du clip. A chaque fois y’a de la guitare électrique comme d’habitude mais en travaillant avec des gens toujours différents ça nous permet de tester pleins de choses et de s’ouvrir, sans avoir la contrainte de sortir un projet cohérent comme un EP ou un album. Au final ça nous apporte pleins d’idées pour le projet après “Vide” et y’a ce côté très spontané qui me représente bien.
10 – La sortie d’un 9 titres est annoncée pour Janvier 2024, peux-tu nous en dire plus sur ce projet ? Ce qui te rend le plus fier ?
En 2024 sort “Vide”, un 9 titre très personnel mais à la fois universel, je parle beaucoup de ma souffrance, de ma rage de vivre, de pourquoi je suis là, qui je suis, d’où je viens… En quelque sorte je me présente moi et mon univers. Ce qui me rend le plus fier c’est d’avoir finalement trouvé qui je suis en réalité durant sa conception. En fait avant de conceptualiser ce projet, je sortais d’une période particulièrement compliquée à tout niveau et je me suis posé la question de savoir qui je suis et qu’est-ce que je veux réellement. Je suis fier d’avoir trouvé une réponse et d’avoir su la mettre en musique.
11 – Quel est aujourd’hui le meilleur que l’on puisse te souhaiter pour 2024 et après ?
Ce qu’on peut me souhaiter pour l’avenir c’est de ne pas perdre ce lien, que crée ma musique avec les gens et de réussir à le faire perdurer. A mon échelle.